Immigrée plutôt qu’expatriée

Lorsque je discute avec d’autres français de l’étranger, je me sens souvent en décalage car j’ai du mal à me définir en tant qu’expatriée. D’une part, nous n’avons pas une expérience d’expatriation au sens classique du terme, dans la mesure où nous sommes venus aux Etats-Unis en « contrat local » (pour mon conjoint – mon cas étant « pire » puisque j’étais sur un visa qui ne m’autorisait pas à travailler), ce qui signifie que nous avons tout laissé en France: plus de sécurité sociale et plus de cotisation à la retraite… (et comme je n’ai pas cotisé dix ans, mes droits à la retraite française s’élèvent pour l’instant à zéro). Si ce n’était notre appartement et notre prêt en France, nous n’aurions aucun lien officiel autre que notre nationalité avec notre pays d’origine.

De plus, comme nous avons à présent la carte verte, nous n’avons pas non plus une date butoir de retour en France. Nous ne savons même pas si nous voulons y retourner un jour, quand, pour combien de temps… Bref, nous sommes aux Etats-Unis pour une durée indéterminée. Nous avons eu nos enfants ici, nous les élevons dans le système américain, et même si nous leur transmettons une certaine culture française, ils se sentiront probablement plus américains que français (sauf si nous retournons en France d’ici 10 ans). Notre fille de trois ans récite le serment d’allégeance au drapeau des Etats-Unis tous les matins à l’école. Et depuis janvier, nous sommes même officiellement propriétaires d’un petit bout de territoire américain!

la-bas

J.J. Goldman, Là-bas. Je sais, c’est un peu cheesy, mais si vous lisez régulièrement ce blog, vous connaissez mon penchant pour le kitsch!

Comme notre horizon américain est beaucoup plus proche que notre horizon français, nous vivons davantage comme des immigrés que comme des expatriés. C’est d’ailleurs de cette façon que nous traitent les Américains (enfin, ceux qui n’ont pas voté pour Donald Trump): comme des immigrés ayant vocation à rester et non comme des Français ayant vocation à repartir dans leur pays. Les Français nous demandent quand est-ce que nous comptons retourner en France; je n’ai jamais eu cette question de la part d’un Américain. Si question il y a, c’est plutôt « quand deviendras-tu citoyen américain ? ». 

Même si nous rentrons en France un jour, nos années ici nous aurons marqués de manière définitive: les personnes parlent d’impatriation lorsqu’ils retournent dans leur pays d’origine pour évoquer la difficulté qu’il y a à se réintégrer, mais pour ma part, il s’agirait d’une deuxième expatriation – avec de nouveaux codes à réapprendre et à apprendre (par exemple ceux de la parentalité, puisque ce sont les codes américains que j’intègre avec Lottie et bébé O). L’identité américaine fait désormais partie de mon identité personnelle et familiale (après l’élection de la semaine dernière, je me demande s’il ne faudrait pas mieux parler des identités américaines plutôt que d’une identité tant le pays est polarisé.)

go-west

(I know that) There are many ways 
(To live there) In the sun or shade 
(Together) We will find a place 
(To settle) Where there’s so much space 
 Pet Shop Boys, Go West

Pourquoi le mot immigré n’est-il pas plus employé parmi les expatriés qui prolongent leur séjour aux Etats-Unis ? En essayant d’approfondir la question, je suis tombée sur l’argument que la dénomination dépend de l’état économique relatif des deux pays: il s’agirait d’une expatriation lorsqu’on vient d’un pays riche et qu’on vit dans un pays pauvre, et d’une immigration pour l’inverse. Je n’adhère pas à cette explication (d’autant plus que nous venons d’un pays riche pour vivre dans un pays riche!), même si je pense qu’elle est à l’origine du rejet du mot « immigré » par une population aisée (comme nous avons la chance de l’être). Les autres réflexions que j’ai trouvées sur la différence entre expatriés et immigrés correspondent aux miennes et nous classent définitivement dans la catégorie des immigrés: contrat de travail rattaché à une entreprise française ou locale, intention ou non de retour…

Pourquoi parler de cette différence entre expatriation et immigration me semble-t-il important? Parce que j’ai vu beaucoup de personnes passer sans s’en rendre compte et surtout sans l’avoir vraiment choisi du statut d’expatrié à celui d’immigré. Leurs enfants ont grandi ici et ont passé l’étape clef de l’adolescence dans le système américain: il est ensuite plus difficile de retourner dans le pays d’origine des parents. Alors, si j’ai décidé de me vivre en tant qu’immigrée et non en tant qu’expatriée, j’ai quand même une date butoir informelle dans un coin de ma tête: les années d’adolescence des enfants, pendant lesquelles la culture de la société et du groupe devient dominante par rapport à la culture familiale. A ce moment-là, il faudra que nous refassions notre choix, comme dirait Enée dans “Endymion’’.

sauter-du-bocal

I was born in Paris 
Maybe I’ll die in Paris 
I was born in Europe 
Maybe I’ll die in Europe 
I was born on planet Earth 
Maybe I’ll die… maybe I’ll die in Space 
Les Wampas, Euroslow 
 (Mais pourquoi n’ont-ils pas chanté cette superbe chanson pour l’Eurovision ???)
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[…] et plus encore qu’être une « simple maman », le combo « maman expat » (voire « maman immigrée ») génère des surprises, des anecdotes et des réflexions dont j’ai envie de garder une trace […]

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