Cela fait des années (le temps passe vite!) que je veux vous écrire un billet sur le fait d’être une maman française aux Etats-Unis: plus encore qu’être une « simple expat », et plus encore qu’être une « simple maman », le combo « maman expat » (voire « maman immigrée ») génère des surprises, des anecdotes et des réflexions dont j’ai envie de garder une trace sur ce blog.
Nous sommes probablement des centaines de milliers de parents dont les enfants sont dits « de la troisième culture », c’est-à-dire des enfants dont le milieu culturel familial est différent du milieu culturel social. Je vois beaucoup d’articles sur ce sujet ainsi que sur la gestion de l’expatriation pour les enfants: la chance immense qu’ils ont d’être bilingues, les joies et les difficultés que cette expérience génère. Pourtant, de mon côté, je ne considère pas mes enfants comme des petits expats. Ils sont nés aux Etats-Unis, ne connaissent la France qu’à travers de rares séjours (qui sont toujours un marathon qui nous laissent épuisés), n’ont pas eu à dire adieu à leurs copains, leurs familles, leur ville. Pour eux, il n’y a pas un « avant » et un « après ». Comme beaucoup d’Américains, ce sont tout simplement des enfants d’immigrés, des immigrés de la deuxième génération. Si nous rentrons en France, alors oui, ils deviendront des expatriés. Nous aussi un peu, tant nous intégrons la culture, les références et le mode de vie américain. Je sais pertinemment que ce don du bilinguisme et du multiculturalisme que nous leur faisons a aussi son revers: la sensation qu’aucun pays ne sera jamais le leur, l’inadéquation entre ce qu’il se passe à la maison et au dehors etc. Et pourtant, les cultures américaines et françaises ne sont pas si éloignées que cela – j’imagine que ces sentiments sont amplifiés pour d’autres pays!
Mais je laisserai à Lottie et à Ozzy le soin de parler de leur expérience d’enfants de la troisième culture (on se retrouve dans 20 ans 😉 ).
De mon côté, je suis bel et bien une maman de la première génération: j’élève mes enfants dans une culture et une langue qui me sont étrangères. C’est curieux, mais je trouve assez peu de ressources sur ce sujet. Il y a bien sûr le livre de Pamela Druckerman, Bébés made in France, dans lequel elle relate son expérience en tant que maman américaine qui élève ses enfants à Paris. J’ai d’autant plus apprécié ce livre que je vis l’expérience miroir et qu’il m’a apporté des informations sur deux niveaux: l’éducation des enfants et la perspective parentale américaine. Mais il y aurait beaucoup plus de choses à dire sur ce que vivent les mamans de la première génération – que ce soit la Syrienne qui arrive en tant que réfugiée en Allemagne, la Hollandaise qui épouse un Brésilien et qui part vivre dans le pays de son mari ou la Française qui aime voir son amoureux heureux au travail et qui l’encourage à partir aux USA.
Je ne vais pas dire que dans mon cas, être une maman de la première génération est un combat quotidien, car nous avons la chance d’être dans une situation d’immigration ultra-privilégiée. Pourtant, je le ressens comme un fardeau lorsque je prépare tous les matins la lunch box de mes enfants. Je repense à la cantine française qui, si elle n’est pas parfaite, a le mérite d’exister et de proposer autre chose que des pizzas et des nuggets de poulet. Et je me vexe lorsque la petite M, dans la classe de Lottie, lui dit que son morceau de brie sent mauvais.
Etre une maman de la première génération, c’est par exemple découvrir que l’école publique américaine commence à 5 ans et qu’il va falloir débourser entre 13 000 et 25 000 dollars par an si vous voulez faire garder votre enfant avant ça (non, je ne fais pas d’erreur dans les zéros) (les aides de l’Etat? quasiment pas, juste une petite tax deduction qui fait gagner peut-être 10% du coût total).
Etre une maman de la première génération, c’est avoir un peu honte de demander lorsqu’on récupère son fils à la crèche ce que signifie BM (Bowel Movement, bref il a fait caca) ou TLC (Tender Loving Care, un petit câlin s’il s’est fait mal). C’est être à la ramasse lors des premières rondes parce qu’on ne connaît pas les comptines (j’ai appris depuis!), ne pas comprendre toutes les références (qui c’est, ce Curious George? Et ce chat dans un chapeau?), voire ne pas comprendre le chef d’œuvre que sa fille a fait à la crèche.
Etre une maman de la première génération, c’est ressentir certaines choses un peu moins dans sa chair: Ha, mon bébé a 103.5 F de fièvre? Ok, je lui donne du paracétamole (ça c’est le positif: cela correspond à 39.7°C, un chiffre qui me parle et donc m’inquiète plus!). Ha, ma fille entre en first grade bientôt? Ok, whatever – alors que le first grade correspond au CP, ce qui a bien sûr une toute autre consonnance pour mon esprit français!
Etre une maman de la première génération, c’est ramener à l’école de sa fille un livre pour parler de la France et se rendre compte qu’on touche des sujets politiques beaucoup plus vite qu’on ne l’aurait imaginé: en France on a le droit d’être soigné si on est malade (c’est malheureusement beaucoup moins évident aux USA). En France, on n’a pas le droit de tuer des gens « même s’ils ont fait de très grosses bêtises » (au premier janvier 2018, il y avait 2816 personnes qui attendent dans les couloirs de la mort américains).
Etre une maman de la première génération, c’est être un peu triste lorsqu’on se rend compte qu’on a oublié d’apprendre à sa fille « Frère Jacques » et qu’elle ne connait de cette chanson que les paroles suivantes:
Chinese dragon, Chinese dragon,
Breathing fire, breathing fire,
Happy, happy new year,
Happy, happy new year,
Gung hay fat choy,
Gung hay fat choy (*).
(Même si j’avoue que j’étais fière de la petite touche de cantonais à la fin!)
Etre une maman de la première génération, c’est un travail constant d’équilibriste: laisser s’épanouir ses enfants dans une culture qui ne nous sera jamais totalement familière tout en essayant tant bien que mal leur transmettre un peu de notre culture d’origine. Lorsque Lottie a entonné la chanson du Chinese Dragon, mon premier réflexe a été de m’exclamer « Mais ce n’est pas la vraie chanson! ». Et puis, j’ai pris trois secondes pour réfléchir et corriger le tir: tout d’abord, suis-je bien certaine que ce soit « Frère Jacques » l’originale? D’ailleurs, qu’est-ce qu’une vraie chanson? Est-ce que je veux vraiment hiérarchiser la valeur des chansons, des langues? Finalement, j’ai choisi un compromis: « Tu m’apprends ta chanson et moi, je t’apprends « Frère Jacques », ok ? ».
(*) « wishing you great happiness and prosperity » en cantonais.
j’adore ! Bravo !!! Domitilla