Le bilinguisme à 4 ans

Lottie a maintenant plus de 4 ans et il est donc temps de faire un petit bilan sur son bilinguisme (*) : pour la première fois, je peux écrire qu’elle est vraiment bilingue français-anglais. D’ailleurs, elle aussi le sait bien puisque je l’ai déjà entendue dire, dans les deux langues, « I can speak French too » et « Je parle anglais aussi ».

L’anglais

En fait, Lottie est devenue très à l’aise en anglais vers le printemps dernier, soit à un peu plus de 3 ans et demi. On l’a remarqué car elle s’est mise à apporter des choses de façon quasi-quotidienne pour les séances de Show and tell à l’école: c’est un petit moment que fait sa classe tous les matins à la fin de circle time, la petite routine matinale qui inclue la date, une petite chanson, des instructions de la maîtresse et également le serment d’allégeance (je vous reparlerai de ce dernier point dans un prochain billet). Les élèves peuvent apporter un objet en relation avec le thème du mois (la mer, les dinosaures, les plantes…) et le présenter en quelques phrases. Jusqu’au trois quarts de l’année, Lottie n’a jamais rien apporté et on a eu soudain une explosion des « il faut que je trouve quelque chose pour Show and tell !!! », bien sûr souvent au moment de monter dans la voiture pour partir à l’école.

Séance de Show and Tell à l’école.

De plus, comme la plupart des enfants américains, elle n’hésite plus à intervenir en public. Par exemple au début d’une pièce de théâtre tirée d’un livre, quelle fut ma surprise de voir ma petite fille participer dans le jeu des acteurs et articuler le plus naturellement du monde : « I have a book ! ». Pareil lorsqu’on faisait la queue dans un parc d’attraction, la voilà qui explique spontanément et dans un très bon anglais les règles de la pêche à la ligne aux gens derrière nous. Et elle chante maintenant toute seule des chansons en anglais apprises à l’école, ce qu’elle ne faisait pas avant (il fallait que je chante avec elle).

Elle a également bien intégré les concepts de la politesse politiquement correcte des américains, qu’elle utilise aussi en français. Par exemple, elle ne dit pas :

  • « Je ne veux plus de brocoli » mais « je crois que je ne veux plus de brocoli »;
  • « Je voudrais un cupcake en dessert » mais « Peut-être que je vais prendre un cupcake en dessert».

(Vous remarquerez qu’on a des problèmes à la faire manger de façon équilibrée!). Je trouve que c’est typique de la façon un peu détournée dont les Américains disent parfois les choses.

Etre bilingue, c’est souvent être aussi biculturel: pour l’anniversaire de Lottie, on a cédé à la tradition du gâteau américain mais en proposant des croissants aux parents!

Le français

A la maison, nous parlons uniquement français sauf lorsque nous avons des invités anglophones (dans ce cas, je lui parle plutôt en anglais par soucis de politesse). Lottie nous parle encore en français et d’ailleurs, c’est également la langue qu’elle utilise pour communiquer avec son petit frère d’un an (qui lui commence tout juste à dire quelques mots). Je m’attends à ce que cela évolue une fois qu’Ozzy aura deux ou trois ans (en gros jusqu’à ce qu’il se mette à interagir de façon régulière avec ses pairs), affaire à suivre donc.

Nous lisons également principalement en français (je vous avais parlé dans ce billet de mes solutions pour lui trouver des livres) mais je me suis également mise à lui acheter plus de livres en anglais en prévision de l’apprentissage de la lecture à l’école, puisqu’il lui faudra aussi pratiquer à la maison (ce qui m’a inspiré mon article sur les 50 livres en anglais pour les enfants). Quant à l’apprentissage de la lecture en français, j’ai acheté sur conseil d’autres mamans francophones expatriées la méthode des alphas, mais nous n’avons pas commencé à l’appliquer sérieusement (en suivant l’esprit Montessori, j’attends qu’elle entre dans sa période sensible sur les lettres et les sons, ce qu’elle commence tout juste). Je commence à réfléchir pour lui faire suivre les cours du CNED, mais l’investissement en temps que cela représente me pose question (5h par semaine rien pour le module sur le langage en grande section).

Apprendre à lire et à écrire en français: il va bientôt falloir s’en occuper et je vous avoue que ça me fait un peu peur…

Je trouve que Lottie parle plutôt bien français avec un bon vocabulaire (mais bon, j’ai une subjectivité de maman et je n’ai pas vraiment la possibilité de comparer) même si elle fait encore des fautes notamment sur les verbes du 3ème groupe comme prendre ou entendre. Elle fait également pas mal de fautes qui lui viennent des structures grammaticales ou des mots utilisés en anglais. Par exemple:

  • « Je suis quatre ans », « Je suis soif » (I am four, I am thirsty) (confusion super classique des enfants dans son cas qui se trompent souvent sur les auxilières)
  • « Je manque ma maison » pour « Ma maison me manque » (I miss home)
  • « Quand j’étais petite, je ne savais pas Jessica » au lieu de « Quand j’étais petite, je ne connaissais pas Jessica » (I didn’t know Jessica)
  • « Attendez pour moi ! » au lieu de « Attendez-moi ! » (Wait for me !)
  • Et aussi le rigolo « Maman, je ne peux pas attendre pour Halloween ! » (Mom, I can’t wait for Halloween !) qu’on traduirait plutôt par un « Je suis pressée que ce soit Halloween ! »

J’imagine qu’elle doit faire des fautes similaires en anglais, mais je n’ai pas encore repéré lesquelles.

Pas sûre de la grammaire? Elle fonce quand même (photo prise au Musée des enfants de Pittsburgh).

Le passage d’une langue à l’autre

Cette année, nous sommes rentrés 2 mois en France et la famille et des amis sont venus nous voir: lorsque Lottie est plongée dans le français (pour cela il lui faut au quotidien d’autres interlocuteurs francophones que nous) elle met environ deux semaines pour passer d’une langue dominante à une autre. Je le remarque surtout quand elle joue seule: ayant passé du temps avec des francophones, elle tend à jouer en français. Par contre, dans notre vie quotidienne habituelle, où elle va à l’école anglophone tous les jours, elle joue en anglais.

Comme je l’avais raconté dans mon billet précédent, elle adapte très bien sa langue à son interlocuteur: lorsque nous sommes dans un contexte anglophone, il lui arrive de m’adresser la parole en anglais mais elle repasse au français après trois ou quatre mots seulement. L’un des avantages d’être bilingue est paraît-il de pouvoir plus facilement prendre en compte le point de vue de son interlocuteur, et je l’ai par exemple vue s’adresser à ma sœur en commençant par « Maman m’a dit » et en se corrigeant immédiatement par un « Ta sœur m’a dit ».

Pour l’instant, l’araignée de la confusion n’a pas (trop) attrapée Lottie, et elle navigue bien entre le français et l’anglais.

Elle nous demande encore de temps en temps comment on dit certaines choses en anglais et quelques fois, cela nous pose des problèmes qui vont au-delà de la langue, comme sur les unités: notamment, on venait de la peser : « Maman, comment on dit « 15 kg » en anglais ? ». Heu… je lui donne la traduction littérale en utilisant le système international d’unités « fifteen kilos », ou je m’adapte à la culture américaine et je lui réponds « thirty three pounds » ? (j’ai choisi cette dernière réponse car je pense qu’elle voulait le dire à sa maîtresse ou à ses copines, qui n’ont pas vraiment d’idée sur ce que représente un kilo…)

Et donc ?

En conclusion, ce que j’observe du bilinguisme de Lottie me donne aussi beaucoup d’humilité par rapport à l’éducation et aux valeurs que nous lui apportons: si le langage est la partie émergée de l’iceberg qui représente ce qui, en elle, relève de l’acquis, quelle influence a la société américaine sur son développement émotionnel, culturel et social? – tout ce qui est invisible à nos yeux mais participe à la construction de sa personne: façon de penser, de se socialiser, de regarder et d’interagir avec le monde…

Je sens que l’anglais commence à devenir sa langue dominante par rapport au français, et cela montre de façon limpide que le rôle que la société a sur la formation d’un individu est aussi, voire plus important que celui de la famille. C’est quelque part une évidence, mais d’une part je pensais que cela arriverait plus tard, et d’autre part, c’est toujours source d’humilité lorsque c’est son enfant qui nous donne une leçon de vie.

En tant que parents, nous représentons un peu la fondation des acquis culturels mais très vite, la société permet aux enfants de développer de belles branches.

(*) Pour information, Lottie est née aux Etats-Unis, mon mari et moi parlons uniquement français entre nous et avec elle. Elle est entrée dans les structures éducatives anglophones à partir de 6 mois (daycare ou preschool), où elle va presque quotidiennement lorsque nous ne sommes pas en France (elle y a été 3 fois pour des longs séjours d’un ou deux mois). Notre entourage social se compose à moitié de francophones et à moitié d’anglophones.

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Sara
6 années il y a

Super ton article !
C’est toujours intéressant de voir comment les enfants évoluent entre ces deux langues et ces deux cultures.
Lottie a l’air de se débrouiller très bien dans les deux langues et pour jongler entre les deux. C’est vrai que ce type d’enfants a plus tendance a comprendre le point de vue de son interlocuteur. Bravo Lottie !
Pour l’apprentissage de la lecture, je pense que tu peux faire des petits exercices simples pour le moment… y’a quelques articles sur le sujet sur mon blog mais n’hésites pas à m’envoyer un email si tu as des questions ou si tu veux que je te donne quelques ressources (j’ai appris à lire à ma grande et je suis en train de le faire avec ma seconde).
Pour le CNED, je ne sais pas si ça vaut vraiment le coup de se lancer dedans avant le niveau de CP… Comme tu le dis, il y a un certain engagement à avoir au niveau du temps et du travail et ça peut faire beaucoup pour les enfants… Est-ce que tu fais des cahiers d’activités avec Lottie ? Ça peut aider un peu et surtout s’adapter mieux à ses besoins et à la quantité de travail qu’elle peut fournir (surtout après une journée d’école).

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