Comme je l’expliquais dans le premier billet de cette série, l’élection de Trump nous a fait modifier ou augmenter notre soutien financier aux associations qui défendent les valeurs qui nous sont chères. Mais l’argent seul ne change pas le monde, et les États-Unis ont assisté à une multication d’évèments, d’actions et d’organisations qui n’auraient pas vu le jour si Hillary Clinton était présidente.
- La marche des femmes : pour le coup, je n’y suis pas allée. D’une part, j’étais à Paris et d’autre part, les raisons de cette marche me paraissaient trop floues : une marche uniquement pour les femmes ? Pour quelles revendications exactement ? Je trouvais cela un peu fourre-tout et sans raison motrice (et aussi, n’oublions pas que Donald Trump est arrivé au pouvoir légalement, alors je ne voulais pas juste protester sa prise de pouvoir). Depuis, j’ai modifié un peu ma position et je commence à comprendre les formes de manifestations populaires aux États-Unis. Les Américains ne sont pas spécialement réputés pour leurs manifestations et leurs grèves récurrentes (pour ça, personne ne surpasse les Français!) et depuis que je fréquente ce pays (depuis mon premier séjour en 2003), les seules manifestations auxquelles j’ai assistées me semblaient ridicules par rapport à nos manif syndicales : quelques dizaines de personnes avec quelques banderoles tout au plus (à l’exception du mouvement Occupy Wall Street). Mais la marche des femmes, c’était autre chose: c’était des citoyennes (et des citoyens en fait) qui se sont mobilisés et qui ont dit « Nous ne nous laisserons pas faire, voici les valeurs que nous défendrons ». Un peu comme en France lors des manifestations organisées par les syndicats avant les négociations : histoire de voir où en est le rapport de force. Mais contrairement à la France où l’on rentre chez soi après la manif et on laisse les syndicats négocier, aux États-Unis, cette marche n’était qu’un début. Une façon de se retrouver et de lancer un mouvement sur le long terme. Les organisateurs ont par la suite initié des « huddles » (un mot qui peut se traduire par réunion, foule, tas, conférence…), c’est-à-dire des groupes locaux pour continuer le mouvement (voir le site web avec la localisation des groupes). Ils proposent également des actions sur leur site web, que vous pouvez retrouvez ici.
- Autant la marche des femmes ne me parlait pas (maintenant un peu plus, surtout en terme symbolique), autant ces huddles m’ont semblé quelque chose qui pouvait faire une différence. J’ai donc participé à la première réunion d’un de ces groupes, organisée par une copine de Pittsburgh (et qui me demande de dire aux gens de France que les Américains sont les premiers désolés et choqués du résultat de cette élection). Nous nous sommes retrouvées un groupe d’environ 20 femmes entre 20 et plus de 60 ans. Il y avait des étudiantes, des professeurs d’université et des retraitées qui nous ont expliqué qu’elles s’étaient déjà battues il y a des années de cela (pour les droits civiques etc) et qu’elles comptaient bien remettre le couvert. À part l’âge, c’était un groupe assez homogène de femmes blanches démocrates et éduquées. Nous avons expliqué chacune à notre tour pourquoi nous étions là, avons débattu de quelques sujets et nous nous sommes séparées en petit groupes pour travailler sur un sujet bien spécifique, avec petit compte-rendu à la fin devant tout le monde. Un format de réunion qui m’a rappelé mon expérience avec les Villes en Transition à Grenoble: on apprend à se connaître, on a envie de faire quelque chose et on cherche quoi ensemble. Aussi, parler de ce qui nous pose question et soucis dans un environnement bienveillant permet de calmer l’anxiété liée au résultat de l’élection. Cette période a été vécue comme un traumatisme par beaucoup de gens et il faut bien que « ça sorte », comme on dit.
Je suis ressortie de cette réunion avec un grand sentiment d’humilité : tout d’abord, je suis toujours admirative devant la capacité des Américains à prendre la parole et à exprimer une pensée articulée en public (il faut dire qu’on commence à le leur apprendre très tôt: à 3 ans, Lottie fait déjà des « show and tell » presque tous les jours à l’école: elle apporte un objet en relation avec le thème du mois et elle le présente devant ses camarades). Ensuite, même si je pensais commencer à avoir une bonne culture politique américaine (lire mon article sur ce sujet), je me suis rendue compte qu’il me restait énormément à apprendre, que ce soit au niveau fédéral mais surtout local. Je n’ai tout simplement aucune idée de la façon dont l’État de Pennsylvanie est gouverné et des batailles politiques qui s’y livrent.
Le huddle continue à se réunir une fois par mois, mais je n’y suis pas retournée: je n’y ai pas trouvé ce que je cherchais sur les causes qui sont les plus importantes pour moi (voir mon billet précédent). Les organisatrices ont invité des personnes actives dans d’autres groupes, comme la League of Women Voters ou une personne qui se présente dans une prochaine élection locale pour faire basculer un district du côté démocrate. Je trouve ce côté éducatif et de rapprochement des personnes qui veulent agir avec les organisations déjà existantes intéressant, mais si je dois militer, je préfère rejoindre une organisation bien établie plutôt que de chercher mon combat à travers ce groupe. Voilà mon expérience, mais je pense que chaque huddle dépend des personnes qui y participent (il y a plus de 5400 groupes!). Je suis quand même curieuse de voir ce qui va émerger de tout cela.
- Il y a également beaucoup d’actions proposées par plusieurs organisations nées à la suite de l’élection. En voici quelques-unes :
- The Indivisible Movement: un mouvement né du travail d’aides politiques de députés et sénateurs démocrates. La première action de ce groupe a été de publier un document contenant des façons pratiques de s’opposer à l’administration Trump: Indivisible: A Practical Guide for Resisting the Trump Agenda, disponible en anglais mais également en espagnol. Depuis, c’est devenu une association qui fédère des groupes locaux de résistance (presque 6000!) et met en ligne des ressources utiles aux militants. Leur mode d’action est surtout d’agir auprès des représentants au Congrès en leur téléphonant, écrivant et les interpellant lors d’évènements locaux (plusieurs membres du Congrès ont annulé des apparitions publiques à cause de la pression de ces groupes).
- Jen’s activism checklist: une newsletter hebdomadaire d’une certaine Jennifer Hofmann, qui résume les différentes actions que l’on peut faire en fonction de l’actualité et des causes qui nous tiennent à coeur (exemple de causes: « I believe in equal rights for all Americans. », « I believe in quality, affordable healthcare for all Americans. », « I believe in creating a healthy planet for future generations. » etc). Cela permet de se focaliser sur quelques sujets seulement, car il se passe tellement de choses depuis quatre mois que l’on risque la noyade à essayer de tout suivre.
- Flippable: une organisation qui vise à rendre les Etats-Unis bleus, c’est-à-dire démocrates, en se concentrant sur les élections aux niveaux de chaque Etat (« state legislature elections »).
- Ourstates: encore une organisation qui travaille au niveau des Etats, en connectant les communautés à des informations et des outils pour rejeter la politique de Trump et des Républicains. Ils ont en page d’accueil une petite carte interactive très utile pour voir où chaque Etat se situe sur différents sujets (immigration, droits reproductifs, justice économique etc).
- Les organisations qui se battent contre le « gerrymandering », un terme qui désigne le découpage de la carte électorale de façon à favoriser tel ou tel parti (au passage, voilà ce que j’apprend sur la page Wikipédia en anglais: « France is one of the few countries to let legislatures redraw the map with no check. » Ha.) Il y a par exemple l’organisation End Gerrymandering mais aussi plein d’autres référencées par cette liste dont je n’ai pas vérifier l’exhaustivité.
- 314 Action (le 314 vient du nombre Pi): une organisation qui vise à promouvoir la science auprès des hommes politiques et qui encourage des scientifiques à se présenter aux élections. Ils ont par exemple fait une grosse campagne au moment où Trump réfléchissait à rester ou non dans l’accord de Paris (qui n’a donc pas réussi…)
Voilà pour les quelques organisations dont j’ai entendu parler, mais j’imagine qu’il en existe encore d’autres. Outre un appel aux dons, beaucoup des actions proposées sont de téléphoner ou d’écrire à son représentant au Congrès, et de signer des pétitions comme la dernière de 314 Action (« Sign The Paris Accord: If Trump won’t stay in it, the American people will sign it »). C’est là que le bât blesse pour moi car comme je ne suis pas citoyenne américaine, je ne suis pas vraiment à l’aise avec ce genre d’action (voire je n’y ai pas accès): mon absence de droit de vote me donne l’impression d’être désarmée (ce qui n’est pourtant pas tout à fait le cas, car ayant la Green Card, on peut toujours leur écrire des chèques…) Finalement, les seules actions que je fais régulièrement, c’est signer les pétitions en ligne d’Amnesty International de façon plus systématique (en France et aux USA). Ce n’est pas forcément lié à la politique de Trump, mais cela ne prend pas beaucoup de temps et j’aime à croire que ça fait une différence.
- Nous sommes également allés à la Marche pour la Science à Pittsburgh qui était organisé le 22 avril (première manif de Lottie et bébé O!) La grosse marche était à Washington, mais comme pour la Marche des femmes, plein de petites marches satellites ont été organisées dans le pays. L’objectif de cette manifestation était double: défendre la science certes, mais également l’environnement (c’était à l’occasion de la Journée Mondiale de la Terre). Les deux sujets sont liés, mais pas entièrement: par exemple, Trump penche du côté des anti-vaccins, et c’est un sujet scientifique d’importance majeure bien que non environnemental à proprement parlé. J’étais un peu déçue par le peu de participants alors que la manif avait lieu dans le quartier universitaire de Pittsburgh – en m’y rendant, je me demandais pourquoi tous ces jeunes n’y allaient pas… Nous avons fait le tour de la Cathedral of Learning, dont il faudra que je vous parle en détail car c’est un très beau monument et un très chouette symbole pour cette marche. J’ai adoré voir la créativité des pancartes brandies, les Américains sont vraiment forts dans ce domaine (j’ai un peu moins aimé les panneaux de deux militants pro-life mais ce n’est pas le sujet de ce post). Les pancartes et les messages étaient vraiment très bien, ils touchaient juste tout en restant humoristiques (voici quelques sites qui en offrent un florilège si vous voulez occuper votre pause café: Politico, Slate, Huffingtonpost ou encore Washingtonpost).
Trump a proposé de grosses coupes dans les fonds fédéraux pour la science (lire par exemple cet article sur les « winners » et les « loosers » de la proposition de budget de son administration), mais le Congrès ne semble de toute façon pas prêt à voter ce budget en l’état et il est donc important de continuer à faire pression sur les Représentants et Sénateurs (d’où l’importance des organisations que j’ai citées plus haut). Et comme pour la Marche des femmes, les organisateurs de la Marche pour la Science ne sont pas retournés à leurs éprouvettes une fois la marche finie, mais proposent régulièrement sur leur site des actions à mener.
- Enfin, suite aux récentes évolutions législatives sur la vie privée sur Internet, je me tâte de plus en plus d’utiliser TOR ou un VPN pour naviguer sur le web… J’ai trouvé cet article de l’EFF sur les possibilités de protéger sa vie privée en ligne (et celui-là est bien aussi), mais je n’ai encore pas sauté le pas.
Pour finir, quels sont mes engagements actuels concrets ? Pas grand-chose au final, en tout cas certainement pas assez vu la gravité de la situation. N’être qu’« une » immigrée dans ce pays me paralyse un peu, mais c’est surtout le fait que je ne suis pas à une période de ma vie où j’ai l’énergie de m’impliquer dans le militantisme social et politique – je l’ai pourtant eue, et j’espère que cela reviendra lorsque les enfants auront grandi. J’aimerai dans l’avenir me rapprocher des groupes Pro Choice (défense du droit à avorter) et également des groupes sceptiques. Défendre la pensée critique, donner des outils aux gens pour prendre du recul sur les « fake news », « faits alternatives » et autre « click baits », insister sur l’importance de la réflexion avant la facilité du partage, alerter sur les implications de cette nouvelle « économie de l’attention », me semblent plus essentiel que jamais.
Coucou !
En voilà un article intéressant ! Voici juste quelques observations en vrac, à mesure qu’elles me passent par la tête.
– Il n’y a pas qu’aux US que les manifestations peuvent mener à des mouvements de fond – voir par exemple chez nous, la manif pour tous, qui a fini par se politiser et devenir un groupe d’influence à part entière (un bien triste exemple, mais un exemple significatif quand même).
Plus récemment, on peut aussi citer nuit debout qui a voulu s’inscrire dans la durée, mais n’a pas vraiment réussi.
– Dans les débats politiques, je vois qu’on parle beaucoup de faire flipper les états. Mais au-delà de ça, le système fondamentalement bipolaire du système électoral américain n’est-il jamais remis en cause ? Je ne dis pas que c’est forcément mieux ailleurs… mais en tout cas, il me semble bien qu’une grande part du résultat de ces élections y trouve son origine.
De manière assez similaire, je suis surpris de n’avoir trouvé aucune discussion sur le système de « winner takes all » utilisé lors des élections sur le site de l’association luttant contre le charcutage électoral. Certes, les états n’ont pas été sciemment dessinés dans un but électoral, mais il reste que le système en place apparait certainement aussi problématique que certaines circonscriptions découpées en forme de salamandre…